Nino André

This interview is part of the series Questioning the Notion of Neutrality.
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Nino André has just finished their master at ERG (Graphic Research School) in performing class, before that they were in LaCambre another school of Brussels. They did a performance in duo with Vinciane Mandrin, called Posture. The performers reproduce a repertoire of postures constructed from the observation of professional and educational situations. They read a text that takes up the formal codes of a scientific report, detailing the way in which speech circulates, the distribution of speakers in the space and the power relationships that are established during the conversation. This performance was created to enlighten the structures in place in the art schools.

Interview - video

in French

Keywords / Overview

00:50
Les écoles d'art et les personnes qui y étudient?

03:26
Le terme neutralité dans les écoles d'art

04:30
Comprendre la langue

05:36
La neutralité dans les écoles d'art

08:38
Les universités doivent être neutres?

09:08
vulnérabilité et stabilité mentale

10:45
Qu'est-ce qui est considéré comme neutre?

13:23
Le Cube blanc (The white cube)

14:36
Le système dans les écoles d'art*

15:06
Enseignants neutres

16:42
Violence institutionnelle

19:00
Neutralité et religion

20:00
Adaptation

24:20
Étudiants en art

24:40
L'éducation en France

27:25
La dynamique des classes dans l'éducation

28:00
La vie après l'école d'art

35:00
Définition du concept de neutralité

Interview - transcript

in French

Dirais-tu que l'université/école d'art est un terrain neutre où tous peuvent enseigner, apprendre et se développer ?

Bah non! (Rire) Je pense qu'il y a un peu des profils types, parce que, on va dire qu’à la base il y a des personnes qui sont plus au courant de l’existence de ces écoles et d’autres qui sont moins au courant. Moi je sais que j’ai eu la chance de trouver des personnes qui m’ont orienté là dessus. Et c’est surtout que le traitement des personnes dans les écoles est assez compliqué, parce que pour faire des études d’art ou supérieures, il faut être très confortable d’un point de vue financier, être très disponible, il faut aller très bien, même si on va mal travailler plus pour aller mieux. J’ai un peu l’impression que les écoles d’art ce sont des écoles du non répit et il faut y aller tout le temps. C’est des écoles qui pourraient être chouettes pour apprendre à grandir, avoir le temps de grandir, avoir le temps de se découvrir et en fait tout ce qui est enseigné c’est l’inverse. Là, forcément, je parle de mes pires expériences parce qu’il y a des endroits où c’était plus chouette. Mais il faut absolument se révéler, se perfectionner, faire des oeuvres vendables. Il faut trouver sa voie mais correspondre à des espèces non-dits. En fait en école d’art ce qui est très compliqué c’est qu’il y a ces espèce de non-dits, on ne va pas dire ce qui est attendu, on va pas dire quel est le profil qui est le plus privilégié. On va juste exclure au fur et à mesure et écrémer les personnes et en fait celles qui ne vont pas faire du "making social" ou s’adapter vont échouer, très simplement. Je pense que l’art c’est pas un monde à part et qui se prétend comme étant en dehors. Ça a tendance à m’agacer très fort, parce que c’est un milieu soit disant tolérant, pour moi la meilleure manière de faire du mal c’est de se croire en dehors d’un système et de le renforcer quand même. Le terme neutralité je ne l'ai jamais autant entendu qu’en école d’art.

Pour mon dernier jury on m’a demandé si je voulais pas accrocher mes oeuvres de manière plus neutre, j’ai dit: «Sur un mur blanc, à hauteur d’oeil de personne valide?» Je me demande si ce système est vraiment intéressant ou si c’est juste un showroom, alors autant dire nous allons accrocher comme un showroom, on va accrocher pour vendre tes oeuvres. Tu penses pas que si tes oeuvres sont au sol elle ne se vendront pas parce qu’on pensera que ce sont des tapis? C’est ok de dire ça parce qu’il faut être d’accord sur l’objectif. Et je crois qu'il y a une tendance à, il faut comprendre le langage que les gens utilisent, tout le non-dit, la poésie… Tu vas le comprendre, tu vas le sentir…. En fait c’est pas un numéro de magie… J’apprends un métier en fait, dites-moi qu’il faut que je fasse des pauses, dites-moi comment il faut que j’accroche mes oeuvres pour que je gagne mieux mon argent. C’est pas grave. On peut sortir du fantasme. Sortir de cette idée de la neutralité en école d’art et le fait d’enseigner neutre, de montrer neutre… En fait c’est une manière de faire, c’est pour un type de travail, un type de parcours. Plutôt que d’appeler ça neutralité, on pourrait nommer les choses et parler de catégories, et dire voilà, dans quel type de catégorie tu veux te trouver, et à partir de là on va te trouver un endroit où tu va développer des capacités pour être à l’aise là-dedans. Moi, l’école d’art m’a appris à être un super bon orateur et imitateur. J’imite tout le monde parce que je me suis rendu compte que c’est comme ça que ça se passait le mieux. Parce que moi à la base je viens de la banlieue Lyonnaise, où c’était une zone d’éducation prioritaire et là-bas l’école était vraiment opposée dans le sens où tout ce qui était culturellement vu comme élevé comme la musique classique, c’était juste la honte d’écouter ça et il fallait surtout pas dire que t’aimais ça sinon t’allais te faire lyncher et y avait une manière d’enseigner qui était pas du tout la même, qui était très claire, descriptive. Voilà ce que vous devez faire, ce qui est attendu de vous, oui c’est chiant, ça nous fait chier aussi mais si vous faites ça, ça va bien se passer, vous aurez votre diplôme.

C’est ensuite quand je suis arrivé dans une école d’art, dans une grande ville que je me suis retrouvé à entendre des gens parler d’une manière différente. Je me suis retrouvé entouré de gens très riches et très blancs avant c’était tout l’inverse. Et il a fallu que j’apprenne à parler et à mimer ce qu’on attendait de moi.

Pour revenir dans un espèce de neutre dans le monde où tu allais évoluer, pour pas que ça se démarque. Ce qui appuie le fait qu’il n’existe pas de vrai neutre et que ce sont juste des mondes adaptés.

Oui c’est un peu comme des paliers, comme si le monde était des réseaux et qu’on sautait d’une plateforme à l’autre par rapport au milieu. Et je pense que plutôt que d’apprendre la philosophie, j’aurais aimé apprendre la sociologie pour ça. Ça aurait peut-être été plus utile.

Penses-tu que les universités devraient viser à être "neutres" ?

Dans un monde merveilleux où il n’y a pas de problème oui, mais donc non. En fait tout est très complexe et c’est pas grave, il faut accepter de se situer ensemble. Je crois que c’est important de plus avoir conscience et mettre sur le tapis, par exemple, voilà moi je suis un enseignant, j’en suis là, comment on fait pour se comprendre. J’ai une amie qui essaie de faire ça en ce moment. Elle essaie de parler de vulnérabilité en études supérieures, elle fait ça parce qu’elle a fait une « ascension sociale ». Dans le sens où elle est rentrée que dans des super bonnes écoles alors que sa famille était plutôt pauvre. Elle s’est retrouvée à faire des écoles d’arts pour échapper à un milieu qui pouvait être violent. Parce que c’est pas le paradis non plus…

Les milieux précaires, c’est difficile.

Oui parce qu’il y a beaucoup de violence, on se fait persécuté de partout. Et donc elle se rend compte qu’elle vient d’un endroit, et les gens qui sont en face d’elle, ils viennent d’un autre endroit qui est beaucoup plus élevé au niveau monétaire, et donc il y a une culture monétaire.

Pour revenir à cette histoire de neutralité dans les école d’art, souvent ce qui est considéré comme neutre c’est ce qui est le plus présent, et ça crée des espèce de normes. Ce que je vois comme étant neutre c’est l’homme blanc lambda. Et donc l’université, à quelle norme elle va essayer de se claquer pour être soi-disant neutre?

J’ai l’impression que la neutralité, c’est un juste un système pour un type de personnes. Tu peux pas dire que la neutralité est plurielle. Non elle est très singulière, très spécifique. Et donc il faudrait parler des neutralités mais ça n’a aucun sens, parce que la neutralité se veut englobant tout, comme un truc d’unicité.

Moi ce que j’adore, c’est que dans mes enseignements d’art on m’a souvent dit que j’étais trop spécifique, que j’avais un langage trop à la mode. Qui font appel à une culture, de l’ordre du féminisme etc. Et on me disait que c’était des choses déjà vues, sauf que vos mur blancs aussi, votre typo Helvetica aussi, votre noir et blanc aussi! Et pourquoi ça, on l’a pas trop vu, et pourquoi moi, mes trucs roses à paillettes vous l’avez trop vu, parce que c’est plus visible? Ce qui est neutre pour eux c’est ce qu’ils ont accepté comme base, sauf que moi ma base elle est peut-être un peu plus fun!

C’est fort dans l’espace le truc du « white cube » etc. Ça c’est un truc qui me trouble complètement parce que je me dis, pourquoi est ce qu’on passe notre temps à le critiquer, et à continuer à l’utiliser? On peut commencer à le pirater mais même ça c’est un truc un peu compliqué. Et même l’enseignement, on dit oui, c’est pas agréable ce truc d’amphithéâtre. Mais qu’est ce qu’on fait pour en sortir? Pourquoi on essaie pas de ré-imaginer, de changer l’amphi tous les mois. C’est facile de faire un constat, c’est facile de dire c’est mal, c’est plus difficile d’inventer des nouvelles solutions. On va dire que ce sont des solutions qui on fonctionné à un moment, ou du moins si elles sont là c’est qu’elles ont fonctionné à un moment.

Et à savoir aussi, à qui elles profitent.

Oui parce qu’elles profitent, c’est ça qui est incroyable. Parfois je me dis que ça ne convient à personne (en pensant que les gens pensent comme moi, ça nous arrive à toustes). Et de voir des gens à l’aise avec ces systèmes-là je suis « whaou ».

Des mecs cis qui parlent de leur travail en école d’art, c’est incroyable, ils sont super à l’aise, ils sont fiers d’eux, ils montrent leur travail, tout rentre bien dans le white cube… Donc ça existe, parce que pour moi c’est vraiment une fiction, quand je vois que la fiction est réelle, je suis en mode « hooo c’est un peu bizarre ». 



Qu'en est-il de l'idée selon laquelle les enseignant·e·s doivent être "neutres", impartiaux, et traiter tous les étudiant·e·s de la même manière. Qu'en pense-tu ?

En fait c’est comme si tu étais à la cantine et qu’on servait le même repas pour tout le monde, mais y en a qui ont des allergies, y en a qui ont des intolérances, y en a qui ont pas le même régime alimentaire et en fait ça va pas à tout le monde de manger le même repas. Et donc c’est là qu’il faut faire du truc sur mesure etc. Et là j’ai vraiment l’impression qu'il y a des professeurs qui sont attentifs à ça et d’autres qui se disent, je suis déjà sympa je fais un repas pour 100 personnes. Et je crois que c’est vraiment difficile, de tenter d’autres manières de faire et de trouver des régimes alimentaires qui aillent à tout le monde c’est énormément de travail, avec un potentiel d’échec et une dépense d’énergie énorme. Et c’est un travail invisible parce qu'il n'y a pas les sous pour imaginer ça. C’est pour ça avec Teaching to Transgress, c’était intéressant pour ça, pour une fois on a le temps de pouvoir y penser.

Le truc c’est qu’un professeur qui arrive dans une classe il sait pas qui est là. Il sait pas que untel est neurodivergent, il sait pas que untel est en décrochage parce que sa mère va pas bien.

Pour moi c’est super difficile de rester en place, de regarder les gens dans les yeux, de prendre la parole. Ce sont des choses que j’ai appris mais la plus grande violence qu’on subit de manière institutionnelle, c’est de rester assis. Ça c’est incroyable, de rester assis, d’être au calme et d’écouter. Ce sont des actions, on pense que c’est simple , mais rester assis c’est compliqué, si on doit se défouler souvent. Écouter ça peut être difficile s'il y a un moindre bruit dans la salle, aussi s'il y a une pensée parallèle qui va se développer etc. Écouter c’est un truc très très actif. On nous dit que recevoir un enseignement c’est quelque chose de passif alors que pas du tout.

Et même, il y a des gens qui sont du matin, et d’autres du soir. On va pas recevoir le même enseignement le matin que le soir. Y a les coups de barre, moi j’aimerais pouvoir dormir et raccrocher plus tard. Et en fait évidemment comment un professeur peut organiser ça? Et à la fois c’est du vivre ensemble mais je crois qu’il faut sortir de ce schéma de professeur actif, et élève passif parce que je crois que c’est pas du tout le cas. Et enfaite les deux statuts sont très actifs.

Le système éducatif en France par rapport à la neutralité et les religions.

Moi avant mes 15 ans, j’étais au collège, et y avait énormément de personnes qui enlevaient le voile à l’entrée du collège, parce que c’est la loi et parce que la France est un pays très hypocrite qui aime beaucoup réformer.

Et puis une réforme donnée par le sénat qui est composé presque exclusivement d’hommes blancs.

Tout est très verrouillé par une classe sociale, un héritage. En France dans l’enseignement, on nous parle très souvent du siècle des lumières, et c’est que des hommes blancs, c’est chaud! Et c’était pas forcément les meilleurs arguments. C’est pas parque qu’ils s’appellent eux-mêmes les lumières qu’on va se dire « Oui super bonnes idées ». Je sais qu’il faut beaucoup « fitter », pas montrer de différences. Même si t’es une personne raciste il faut que t’aies l’air blanc. Il faut absolument que tu t’adaptes, si t’es gay il faut pas le montrer. Tu verras plus tard, quand tu seras sorti de l’école parce que c’est là que les choses se relibèrent. 
Je peux pas trop parler de signes religieux, parce que je suis issu d’une famille chrétienne mais où tout le monde était athé. Mais par contre au niveau du « slut-shaming » j’en ai bavé.
 J’ai eu toujours très envie d’explorer les choses, mais au niveau de la tenue. C’est quand je suis rentré au lycée que j’ai compris qu’il fallait que je m’habille d’une certaine manière, et que moi j’avais pas les codes. Je portais des choses soi-disant trop courtes ou trop déchirées. Moi c’était vraiment un truc de ressenti de me sentir compressé à des endroits parce que c’était agréable. Ou bien mettre en valeur des choses qui me faisaient du bien à un moment où j’étais en recherche identitaire assez forte. Je me souviens avoir été pris en aparté par tous mes profs d’art pour me dire que j’avais une esthétique sadomasochiste et que je dérangeais les 3 mecs de ma classes de 35. C’est là que je suis devenu très en colère. Déjà je faisais tous les efforts du monde pour comprendre comment ils me parlaient parce que je comprenais pas ce qu’ils utilisaient comme vocabulaire, je les trouvais hyper flous. Il fallait faire semblant de comprendre comme tout le monde pour que le cours avance, et en plus il fallait que je m’habille comme eux. 
C’est les autres élèves qui m’ont aidé à me sentir bien. 
Et puis je suis passé d’un endroit où il fallait porter des jeans très moulants et des survet’, à un monde où tout était possible. Donc si tout était possible on va tout prendre, on va tout faire. Et en fait non c’était d’autres codes encore et je les avais pas.

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