L'équipe facilitateurice de l'erg a souhaité offrir un espace à Joëlle Sambi Nzeba avec qui, entre autres personnes invitées, nous avions vécu le séminaire After Empire en 2017.
Nous souhaitions partager avec les autres partenaires la façon dont nous intégrons les questions post-coloniales au sein de l'école grâce à ces invitations.
Après avoir assisté au pré-lancement de son documentaire (en cours de réalisation) Pinkshasa diaspora au Pianofabriek, sur la diaspora LGBTQI congolaise, nous espérions trouver dans ces expériences de vie, la possibilité, de questionner les notions de Safe(r) Space et Brave(r) Space, notions qui ont finalement été questionnées par ailleurs . Finalement, Joëlle ayant choisi d'orienter son workshop davantage sur sa pratique de slam.
Le travail de Joëlle Sambi Nzeba est axé sur l'écriture et le slam, elle se forme en tant que journaliste à Bruxelles et développe des pratiques artistiques comme la poésie, écrite et interprétée, ou la réalisation de film. Joëlle a eu carte blanche pour construire une après-midi d'échange avec les participant·es pour nous aider à développer et à penser les outils d’échanges et de conversation.
La pratique d'un atelier d'écriture
Un guise d'introduction pour cet atelier Joëlle Sambi Nzeba a entammé trois slams, dont les retranscriptions se trouvent ci-dessous. :
Joëlle a directement invité les participant·es à écrire un texte à propos d'eux/elles-mêmes de façon à se présenter au groupe pour cette semaine introductive. Certain·es participant·es, à l'aise avec la prise de parole en public, ont ensuite pris la parole et le "floor" pour déclamer leurs textes.
Les participant·es et les facilitateuric·es du projet avait eu l'occasion de se présenter brièvement précédemment pendant la semaine et de donner les raisons qui les avaient poussées à participer à ce projet. Avec la proposition de Joëlle, il était à présent question d'une présentation approfondie, utilisant la poésie et le slam, le rythme, etc. pour se décrire. Le fait d’utiliser la poésie et le rythme donne l’occasion de développer des avis et des pensées profondes et souvent difficiles à exprimer, à travers les barrières habituelles de la conversation.
La pratique artistique et activiste de Joëlle Sambi
Des extraits du film Pinkshasa diaspora ont été projetés et Joëlle a pu détailler les enjeux de tournage d'un tel documentaire et de sa pratique militante féministe LGBTQIA+.
https://vimeo.com/290454751
MDP : Pinkshasadiaspora2018
Outputs
Cet atelier, combiné à celui de mash-up de textes de Felixe°Tiphaine Kazi-Tani, a permis d'aboutir dans les jours suivants à une série de textes qui ont été interprétés par les participant·es lors de la soirée organisée à De Markten au son de la musique de ILL-SYL (Sylvia Iweanya) et animée par Joëlle Sambi.
Le slam d'ouverture de Joëlle "Entre le marteau et l'enclume" a marqué les esprits :
Transcription des slams
NA LINGI YO
Na lingi yo. Je t’aime.
« N’ouvre jamais ton cœur » m’avait dit la vieille. « N’ouvre jamais avant d’avoir arraché les couteaux, les couperets, les aiguilles, les écrous, les seringues, les marteaux et les clous, les agrafes, les punaises, les ciseaux et les pinces, les haches, les cisailles. N’ouvre jamais si tu veux ne connaître de l’amour ni le bonheur ni la douleur qui va avec. N’ouvre jamais si tu veux ne rien perdre de ton âme, rien de ta vie, rien de toi. Laisse les autres t’aimer, admire‐les, apprécie les, tout au plus invite‐les à ta table, dans ton lit mais laisse‐les t’aimer. Ne les aime pas. Ne leur ouvre pas. C’est bien mieux ainsi !! »
La vieille avait-elle raison ?
Il y a des choses dont on n’hérite pas, en dépit de tous nos efforts. Il y a des choses qui font un doigt d’honneur aux gènes, à l’héritage, à l’éducation, à la norme. Des choses comme l'instinct de survie par exemple, des choses comme la capacité à ne pas se foutre dans la merde ! Ces choses‐là me sont étrangères. Elles ne sont inscrites nulle part dans mon code génétique. Alors j’aime, j’aime comme il m’est interdit d’aimer. J’ouvre mon coeur et j’aime, j’aime ces êtres qui parait-il sacrilege serait semblable à moi. Serions-nous des clones ? Des humanoïdes dont la mécanique enrayée à fait de nous des PD ?
Et si a la vieille avait raison ? Il faut croire que la mesure et la prudence ont sauté plus qu’une generation. Car j’aime malgré tout, j’aime , j’aime au-delà des conventions, j’aime à en perdre le sens, à en perdre l’essence, les règles et la raison .
« N’ouvre jamais ton Cœur » m’avait dit la vieille mais tout ce à quoi je parviens c'est le chaos : une sorte de séisme qui te tire les larmes des yeux, un dimanche après midi solitaire. Un magma de questions qui te chauffe lentement le cerveau comme la lave lèche les flancs des montagnes. Il n'y a pas de retour possible. Tes idéaux comme des corps figés, carbonisés. Je t’aime. Na lingi Yo.
Combien
À quel degré ça bouillonne à l’intérieur ?
Quelles équations attestent de nos valeurs ?
Les mathématiques ça ne me réussit pas, compter, calculer je n’y connais rien, je ne sais pas ? Alors combien ?
Combien dites-moi…
Combien de corps faut-il ? Combien de tas ? Combien de jambes et combien de bras ? Combien de cendres envolées ? À quels destins renoncer ? Combien de chemins détracés ?
Combien d’ambitions réduites, de passions détruites et de vie toute tracée ? Combien de renoncements ? Combien d’accouchements ? Combien d’enfants faut-il élever ? Combien d’amours en angle mort ? Combien de remords pour nos vieux jours ? Combien de fosses à découvrir ? Combien de cadavres dans nos placards, dans nos têtes et nos télés ?Combien de corps éteints ? Combien de cœurs étreints ?
Combien d’hommes à satisfaire ? Et si chacun faisait ses poussières…Les mathématiques ça ne me réussit pas, compter, calculer, j’y connais rien, je ne sais pas alors combien…combien dites-moi ?
Combien de bombes faut-il poser ? Combien de nous et de vous et de nous et de tous ? Quand est-ce que c’est assez ? Combien d’incendies provoqués ? A quel degré la colère devient de la lave, et la lave d’la bave et d’la bave du feu qui coule et qui ravage les kilomètres et les miles des injustices trop ordinaires ? Combien de « non » faut-il dire ? Quand est-ce que « non » c’est assez ?
Combien de moins que rien, de mieux que l’tien ? A quelle hauteur le mirador n’est plus un danger ?Les mathématiques ça ne me réussit pas, compter, calculer, j’y connais rien, je ne sais pas alors combien…combien dites-moi ?
Combien de morts en Méditerranée ? Combien de famille ex-plosées, combien d’ex-pulsés ? De maison rasées ? De tours érigées ? De zodiaques trafiqués, d’avions affrétés ?
Combien de cris dans la nuit ?
Combien de travailleurs cancrelats, d’enfants maltraités, de femmes violés, de vieux au garage, de pauvres méprisés, d’immigrés exploités ? Combien de fers pour nous marquer ? De kilogrammes pour peser sur la conscience ?
Combien de Taser décharges homologuées ? Combien de menaces pour nous faire ramper ? De baillons et de coussins pour nous étouffer ? Combien de matraque pour nous frapper ? Combien de tombes doit-on creuser ? Combien de marques, de croix gammées ? Combien de larmes, combien de deuils, combien de noir, combien de blanc pour nos vêtements ?Combien de billets faut-il amasser ? Combien de billets pour nos pensions ? Combien de blé, de flouz, d’oseille, de mopatasse et de pognon, ah ouais, à combien c’est assez ? Quand est-ce qu’on en a assez ?
Combien de feuilles doivent encore tomber ? Combien de livres faut-il écrire ? Et quelles sont les pages que je vais brûler ? Combien de slam dois-je réciter ? Sur quelle corde encore tirer ? Ca a quelle gueule une bonne immigrée intégrée évoluée ?
Devine
Ça y est, ça y est les tambours tonnent.
Frottement des cuivres et bruit de bottes.
C’est la Grande marche de l’automne
Ca y est, ça y est
C’est la cadance, la vaste fête, l’ignoble transe
Ils ont sorti les boucliers
Ils l’ont même briké pour la rentrée
Nos amis…
Ca y est, ça y est
Ils se taisent les oiseaux
Pendant qu’on casse de l’arabe, du gitan et du négro
Posés tout fiers, ils annoncent haut
Posés tout beaux, ils déblatèrent
Mais quand même
Mais quand même… //
La ferme //
La ferme aux femmes, fiente prolo, malfrat travelo, PD, homo, islamo-bobo, pauvres-gaucho !
La ferme !
C’est la grande enchère des droits-misère
Le fiel, la fiente entre les crocs,
Le fiel, la fiente de leurs mots
Tout est serré, trop bien rangé
Comme la boucle des Weston, des militaires et leurs treillis
Comme les glaçons de leur Jameson
Tout est serré, trop bien rangé
Ca y est, ça y est
Seuls croassent les corbeaux
Ils annoncent la fin de la paix.
La fin de la paixMais alors devine qui scrute le blanc de tes yeux.
Devine qui soudain te regarde dans la file Feignant d’être un ami.
Devine qui se surprend à vouloir être comme toi,
Près de toi, tout à fait subitemment, soudainnement frère.
Devine qui lève le poing, la matraque et l’urne pour te frapper un peu plus fort
Tandis que tu lèves le tien
Pour fendre la gueule et le cul
Saboter les efforts de ceux qui s’obstinent à te maintenir à terre.
A terre, vulgaire poussière,
Loin de la cour de ces hommes. Mais qui souhaite un homme devenir ?Devine.
Devine qui t’encule, qui t’emmerde, qui t’enferme, qui t’enfoire ?
Qui te propose, t’annonce, te définit , te dit ce que tu es doit être ou devenir ?
Qui te respecte si peu, si peu, si peu…Devine qui fixe ses pupilles et te dénonce, te regarde de haut, te soumet
Qui te dit que tu n’es rien, te dit que tu n’es pas
Pas assez, suffisament suffisant. Trop, trop peu. Devine.
Qui te prend et qui te jette ?
Qui te marche dessus, s’essuie les pieds, efface sa merde et pointe du doigt ta colère ?
Ta légitime rage
Qui te crache dessus et pointe du doigt ton enfer explosif ?
Qui t’accuse ? Qui abuse ?
Qui te tient, te retient, te soutient ? Si peu, si peu…
Qui s’abstient quand ça arrange ?
Qui t’égorge quand tu déranges ?
Qu’est-ce qui te perd…?
Qui s’abreuve de ta misère ?
Qui pense que tu n’es pas assez une soeur pour être une amie ?
Qui te dis que tu es vendue pas un allié, pas une alliée ?
Pas assez forte, pas assez soudée ?
Mais… devine…
Devine qui a froid comme toi ?
Cantonniers du bleu trépas
Qui comme toi a le coeur froid ?
Sculpture cimetière au fond des eaux
Ôde funeste dans les avions
Qui comme toi bientôt pourrit déjà ?
Mort pour une vie qui ne sera pas.
Place eternellement vide
D’une nation qui ne verra jamais le jour.
Devine…Alors devine ma colère × 2
Ma rage même éteinte ou tamisée.
Joue les notaires et les huissiers
Compte chaque frère, chaque soeurs noyés.
Et si nos noms sont tourbillon pour
Chaque vie mal nourrie,
Chaque vie mal traitée
Nous serons la nuit noire de vos culpabilités absentes.
Nous serons les éclosions partagées,
La solitude et la tourmente de vos coeurs charognésDevine la bêtise, la foudre, l’inhumain.
Le sang qui coule et les rigoles débordantes.
Devine la haine qui charrie les ablutions
Et les prières des hypocrites et
Les programme des hypocrates-charlatans /
Devine le fleuve qui coule les insultes, les bannissements
Et la foule qui trace, nette et précise, la collective mémoire bien propre sur elle.
Et la foule qui trace, nette et précise, la collective mémoire bien propre sur elle.CQui proscrit ? Qui définit ? Qui tranche ?
Ca y est, ça y est
Ils se taisent les oiseaux
Seuls croassent les corbeaux
Mais qui meurt à la fin (du film) ?
Devine.